Art de vivre italien

La diète italienne, chapitre 19, Giacomo Miola, vice-président de Slow Food Italia

Depuis que nous avons lancé les interviews de la diète italienne, Alice rêve d’un entretien avec les têtes pensantes du mouvement Slow Food, créé en Italie dans les années 80. Son vœu est enfin exaucé car j’ai eu la chance de m’entretenir avec Giacomo Miola, le vice-président du mouvement. On a parlé de nourriture évidemment, de lenteur aussi, mais également des combats essentiels à mener, du futur de l’humanité et du fait que ses plus grands espoirs résident dans l’idée même de communauté.

Bonjour Giacomo, peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours ?

Je suis né et j’ai grandi dans un petit village de la côte amalfitaine, dans une famille avec des grands-parents paysans qui faisaient de l’élevage d’animaux du côté de mon père et des grands-parents restaurateurs du côté de ma mère. J’ai baigné dans ces 2 dimensions. J’ai choisi d’étudier le design d’intérieur car la conception m’attirait, mais c’est lorsque j’ai choisi le thème de mon doctorat, où j’analysais la production de la chaîne alimentaire que j’ai réuni les 2 mondes qui me passionnaient : celui de la conception et celui de la nourriture. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à être militant.

Aujourd’hui, je suis président de Metafarm Social Food Lab, un organisme culturel qui s’occupe de la valorisation du patrimoine gastronomique et de la communauté locale. Je suis aussi à l’origine du projet “Gastronomic trekking” en Campanie, qui invite les voyageurs à une balade gastronomique, où l’on découvre un territoire à travers ses paysages mais aussi en cuisinant et en dégustant ses produits. Enfin, il y a un an, je suis devenu vice-président de Slow Food Italia et je suis responsable au sein du mouvement du projet “Slow Food Travel”, cela me permet de faire avancer encore plus concrètement les choses.

 

Peux-tu nous présenter l’histoire et la philosophie du mouvement Slow Food ? Quels sont ses combats ? Sont-ils toujours les mêmes qu’à la création ?

Le mouvement Slow Food naît en Italie il y a un peu plus de 30 ans avec l’idée de changer un modèle agro-alimentaire qui ne fonctionne pas. Le credo de Slow Food à l’initiale est de proposer un système de cibo BUONO, PULITO E GIUSTO, une alimentation “bonne, propre et juste”. En d’autres termes, cela veut dire un système respectueux des gens -producteurs et consommateurs-, des prix justes pour tout le monde, de la qualité des produits. Le combat aujourd’hui doit se concentrer sur le maintien de la diversité. Nous vivons dans un modèle où une poignée de très grandes entreprises décident de ce qu’on met sur notre table, c’est un désastre. Nous avons perdu 65% des espèces vivantes sur la planète. Ce n’est pas seulement une catastrophe gastronomique, la fin de la biodiversité mènera à la fin de la vie.

Le credo de Slow Food à l’initiale est de proposer un système de cibo BUONO, PULITO E GIUSTO, une alimentation “bonne, propre et juste”.

Comment vois-tu l’évolution de ces objectifs ?

Les objectifs de la première heure sont encore semblables mais évoluer, cela veut dire interpréter la contemporanéité, le monde dans lequel nous vivons. Les objectifs d’il y a 30 ans sont toujours valides mais les pratiques sont diverses, ont évolué avec le temps ! Je te prends un exemple concret, il y a 30 ans, l’activisme était facilement explicable, ses “ennemis” identifiables : c’étaient les fast food qui arrivaient dans le paysage, certaines entreprises, certaines mauvaises pratiques d’agriculture. Aujourd’hui, on se bat contre un système global, on doit trouver une manière d’interpréter le monde, élargir notre vision, voir plus loin. Selon nous, la meilleure piste est celle des communautés. Nous travaillons aujourd’hui sur ce concept de communauté, un modèle anthropologique très ancien, mais selon nous le plus évolué pour réussir à contrer ce système global. C’est dans l’échange et le partage des personnes que nous trouverons les solutions. L’ouverture vers une renaissance se trouve là, sous nos yeux, parmi les forces vives de nos communautés. 

C’est dans l’échange et le partage des personnes que nous trouverons les solutions. L’ouverture vers une renaissance se trouve là, sous nos yeux, parmi les forces vives de nos communautés. 

Comment le mouvement est-il organisé ? En Italie et dans le monde ?

Il y a 2 pôles qui ont leur siège à Bra (Piémont), où le mouvement est né : Slow Food Italia

et Slow Food International. Nous travaillons main dans la main, en totale symbiose.

  • Slow Food Italia dispose d’une coordination nationale (composé d’un conseil de 5 personnes et présidé par Barbara Nappini depuis 1 an), d’une coordination au niveau régional (dans chaque région d’Italie), d’une coordination au niveau local (ce qu’on appelle les condotte, des associations de personnes) et enfin d’un archipel de communautés (il y en a une centaine en Italie).
  • Slow Food International coordonne toutes les autres organisations nationales et a surtout un rôle important de soutien des pays qui ne peuvent pas s’organiser comme nous le sommes. Je parle des pays du sud, comme ceux d’Afrique, qui sont d’importantes ressources pour le mouvement au global puisqu’elles nous disent beaucoup sur l’histoire et l’évolution de l’alimentation sur notre planète.

 

Une des volontés de Slow Food est de soutenir l’idée d’une certaine “ruralità”, le local, le circuit court, les petits producteurs, par rapport à une agriculture industrielle. Qu’est-ce que ça veut dire en 2022 ?

Il y a une expression que j’aime beaucoup pour imager mon opinion, c’est “tornare indietro al futuro”, en quelque sorte faire “un retour vers le futur”. Je pense qu’aujourd’hui, il est important de parler de NUOVA RURALITÀ, de nouvelle ruralité. On doit s’appuyer sur les apprentissages, les traditions et les valeurs que représente la ruralité, mais continuer à la vecchia maniera, à la manière ancienne, c’est non. Il ne faut pas se tromper. Le monde a évolué et toute une série de technologies nous permettent d’innover. L’innovation est la valeur la plus importante pour réinterpréter la ruralité ! Je te donne deux exemples : ces dernières années, toute une série de micro-brasseries ont vu le jour. On n’avait pas une tradition de bières artisanales en Italie, mais elle est en train de se mettre en place. Pareil avec le phénomène des vins naturels. Cela permet de changer la perception du vin, la manière de le sentir et de le goûter, cela doit rentrer dans notre culture. Chez Slow Food, nous soutenons ces jeunes entrepreneurs car ils innovent, ils font évoluer le monde de l’oeno-gastronomie italienne, ils créent de nouvelles traditions. Valoriser leurs actions nous permettra de pouvoir créer de nouveaux modèles ! 

Je pense qu’aujourd’hui, il est important de parler de NUOVA RURALITÀ. L’innovation est la valeur la plus importante pour réinterpréter la ruralité !

Pour nous, ce n’est pas un hasard si le premier mouvement slow est né en Italie. Peux-tu nous expliquer pourquoi, selon toi, l’Italie est un terroir fertile pour penser la lenteur ?

L’Italie est un territoire qui se rappelle en permanence. Elle se rappelle de ce que nous avions, de ce que nous avons, de ce que nous pourrions avoir. Nos origines, cette vie plus simple, paysanne, n’est pas si lointaine, ce n’était pas il y a des siècles, c’est ce que j’ai vu en grandissant, et j’ai 40 ans. Et cela reste une valeur importante pour le pays.

 

Que penses-tu des autres mouvements comme le slow travel, le slow fashion ou encore cette idée de slow life de manière plus générale ?

Je pense que les mouvements qui auront réellement un impact sont ceux qui travailleront sur les personnes, sur les communautés locales, qui décideront de partir des humains pour changer les choses. Tout le reste, cela restera seulement un trend.

Je pense que les mouvements qui auront réellement un impact sont ceux qui travailleront sur les personnes, sur les communautés locales, qui décideront de partir des humains pour changer les choses.

Qu’a-t-on à gagner en retrouvant de la lenteur dans une vie devenue si frénétique ?

Selon moi, le temps est la valeur la plus précieuse que nous possédions. La modernité nous a privés de notre temps. Reprendre possession de notre temps, pour moi, c’est se donner une chance de vivre en conscience.

Reprendre possession de notre temps, pour moi, c’est se donner une chance de vivre en conscience.

Un des messages clé de Slow Food est de bien manger pour être en bonne santé. Penses-tu que bien s’alimenter aujourd’hui soit à la portée de tous ?

Absolument pas, car nous vivons dans un modèle basé sur le capitalisme “plus j’ai, plus j’obtiens ». L’équité en termes d’alimentation est une chose sur laquelle Slow Food travaille. En 50 ans, notre monde est devenu celui qui, à la fois, voit le plus de personnes mourir de faim et le plus de personnes qui souffrent d’obésité, de boulimie et autres maux similaires. Il faut impérativement réussir à rééquilibrer ça, surtout pour que la faim dans le monde diminue drastiquement. Je compléterai donc notre credo dont je t’ai parlé plus haut : 

buono, pulito e giusto PER TUTTI, “bon, propre et juste POUR TOUS”.

 

Quelle est ta définition de la diète italienne ?

Plus qu’une définition, je voudrais parler d’une particularité : l’Italie est une jeune nation, auparavant, c’était des territoires indépendants, variés. Et dans tous ces lieux, de nombreux peuples sont passés. Ce pays et sa gastronomie se sont donc construits autour d’une “contamination” de peuplades, de leurs produits, de leurs recettes, de leurs traditions et c’est ce qui fait leur richesse. L’échange entre les autochtones et ceux qui se sont arrêtés sur ces terres. J’aimerais qu’on se rappelle de notre Histoire. Je sais que je dévie un peu de la gastronomie, mais le message est important aujourd’hui, car accueillir des personnes qui cherchent à fuir leur pays en guerre ne nous apportera que de la richesse.

Ce pays et sa gastronomie se sont construits autour d’une “contamination” de peuplades, de leurs produits, de leurs recettes, de leurs traditions et c’est ce qui fait leur richesse.

La diète italienne ne se résume pas à ce qu’on a dans son assiette. Quels sont, selon toi, ses autres ingrédients essentiels ?

Je pense qu’un de ses ingrédients essentiels est la diversité. En Italie, on peut passer de la haute montagne à la mer à la pianura padana, une zone  alluvionnaire dans la vallée du Pô. Les Italiens ont réussi à cultiver même sur des terres difficiles voire hostiles et c’est grâce à ça qu’on a des pratiques très diverses et une alimentation variée. 

 

Qu’est-ce que la façon de manger en Italie a à nous apprendre/apporter pour être en bonne santé ?

Je ne suis pas sûr qu’il existe une vraie recette magique mais je sais que si on peut unir les pratiques et traditions qu’on a appris à un style de vie respectueux du territoire et de chacun, on aura, selon moi, trouvé le secret de la bonne santé et de la longévité !!!

 

Quel ingrédient de la “Diète italienne” est essentiel pour toi ?

Pour moi, il ne doit pas exister un seul aliment, il doit en exister plein. Si je te parle des blés essentiels à la confection de la farine qui fabrique les pâtes, le pain et la pizza, les productions de qualité ne sont pas suffisantes pour compenser toute la demande, donc le secteur agro-alimentaire continuer à s’appuyer sur une production de masse et c’est exactement ce qu’il ne faut pas. On a besoin de transformer le système, on a besoin d’une vision, on a besoin de reprendre possession de nos terres.

 

Tu viens de Campanie, peux-tu nous expliquer la spécificité culinaire de ce territoire ?

Mon territoire porte un nom antique que les romains lui ont donné “Campania Felix”. C’était un lieu très fertile, où l’empire romain a installé une bonne partie de sa production. Cela a 

développé tant de biodiversité au cours des siècles. Sa culture culinaire est riche, de produits de la terre, de produits de la mer. Il ne faut pas faire l’erreur d’associer la culture gastronomique de la Campanie seulement à la pizza et à la mozzarella. Nous ne sommes pas que cela. C’est une des régions d’Italie qui propose une des gastronomies la plus hétérogène.

 

Une recette ?

Les “Alici in tortiera” préparés par ma nonna. C’est une recette de la cucina povera, de la cuisine pauvre, car les anchois étaient les poissons “pauvres” de la côte amalfitaine et l’autre ingrédient de ce plat est le pain rassis transformé en chapelure. Elle ouvrait les anchois, les nettoyait, les mettait dans un plat, les recouvrait d’huile d’olive extra vierge locale et de chapelure et les faisait cuire au four. En ressortait une sorte de tarte dont on faisait des parts. Délicieux !

 

Une adresse Slow Food?

C’est très difficile pour moi car il y en a beaucoup. Je vais citer la “Taverna Buonvicino” dans le centre d’Amalfi. La cheffe, Enza Scocca, est une magnifique interprète de notre territoire et de la transformation de nos produits.  

Une dernière question, comment imagines-tu l’avenir de Slow Food et donc notre manière de manger et de consommer ?

J’espère que dans les prochaines années, nous serons capables d’atteindre les gens d’une manière qui les étonne, pour trouver un moyen de raconter ensemble un monde différent, un style de vie différent, qui ne changera certes pas d’un jour à l’autre, mais qui changera. Je base beaucoup d’espoir sur les communautés, surtout les petites communautés de quartier. Si toutes les communautés de quartier arrivent à faire de petits changements jour après jour, notre futur changera forcément aussi !

 

Grazie mille Giacomo !

 

Poursuivre la réflexion avec:

  • Le mouvement Slow Food Italia ICI
  • Le projet Slow Food Travel ICI
  • Le projet personnel de Giacomo, Gastronomic Trekking ICI

 

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J’espère que dans les prochaines années, nous serons capables d’atteindre les gens d’une manière qui les étonne, pour trouver un moyen de raconter ensemble un monde différent, un style de vie différent.

Par Emilie Nahon

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