Artisanat italien

INTERVIEW, Lucia Caponi

Tout en haut de la via Tornabuoni, la rue bon chic bon genre à Florence, se trouve une boutique exceptionnelle, celle de Loretta Caponi. Loretta a eu une vie incroyable. Elle commence à broder dans les années 30 et son goût exquis pour les couleurs et leurs motifs propulsera sa modeste boutique en temple du bon goût à l’aura internationale. Loretta nous a quittés l’année dernière à l’âge de 91 ans. Jusqu’au dernier jour, elle n’aura eu qu’un seul souhait, retourner dans sa « bottega ». C’est sa fille Lucia, désormais maître à bord qui m’a reçue dans la boutique laboratoire de linge de maison très haut de gamme. Une rencontre à l’image de sa carrière, surprenante, intense toute en couleurs et en broderies.

Bonjour Lucia, merci de me recevoir dans votre sublime boutique. Pourriez-vous me résumer comment tout a commencé pour votre maman Loretta?

Né au début des années 20 dans un milieu très moderne, Loretta ma mère, commence à coudre à l’âge de 9 ans avec d’autres petites filles du couvent où elle va à l’école. À 18 ans, Loretta est mariée à mon père, artiste peintre, et a déjà un enfant, elle doit donc gagner sa vie.Cette occupation se transformera alors en métier et devient une nécessité.

Plus qu’un plaisir, coudre était une nécessité.

 

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Comment sont les débuts de Loretta en temps que couturière-brodeuse?

Grâce à une bonne amie qui venait d’une famille aisée, Loretta fait ses débuts… à Paris. En effet, des nuisettes et sous-vêtements de soie étaient cachés dans les manches du manteau de la dite amie pour passer la douane. Avec ses premiers revenues, ma mère réussira à acheter un tout petit appartement. L’étape d’après fut Rome, avec une présentation de collection deux fois par an dans un appartement.

Le showroom avant l’heure!  Votre père était un peintre doué d’un talent certain, vos baigniez donc dans un milieu culturel?

Mes parents travaillaient jusqu’à 20h puis avec la soirée démarrait une sorte de salon littéraire. Peintres, écrivains, sculpteurs, notre maison a vu passer tout le milieu culturel du novecento italien. C’était très animé et surtout enrichissant.

Comment se comportait votre mère avec tous ces artistes?

En retrait, elle écoutait. Elle était vraiment jeune à l’époque, mais elle avait déjà cette curiosité d’apprendre, cette sensibilité, toute cette période l’a nourrie et a influencé ses goûts.

Comment a-t-elle réussi à se démarquer et à faire grandir son activité?

Ma mère travaillait énormément, elle ne s’est jamais arrêtée même quand le succès était au rendez-vous. Jusqu’à la fin elle exécrait la fainéantise et le travail mal fait. Mais je crois qu’avant tout elle a été innovative dans ce qu’elle proposait, avec un goût très sûr.

 

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Pourtant, il y avait beaucoup de boutiques de linge de maison et broderie à l’époque.

Oui c’est vrai ! Mais elle était la seule à proposer des nuisettes fuchsia bordées de lilas, là où les autres jouaient sur des tonalités classiques comme le blanc et le gris. Elle a simplement vu le linge de maison avec un nouvel oeil, très frais, moderne, avec un sens de la combinaison des couleurs incroyable. L’association des couleurs, c’est finalement l’essence du style Caponi, est cela est toujours d’actualité aujourd’hui.

L’association des couleurs, c’est finalement l’essence du style Caponi, est cela est toujours d’actualité aujourd’hui.

À l’époque, vous n’étiez pas dans cette grande boutique.

Ô que non! La boutique de ma mère était minuscule et située borgo Ognissanti, il n’y avait la place que pour un seul mannequin en vitrine! Et pourtant elle a réussi à attirer Paola de Belgique, la famille Rockefeller, le succès était déjà au rendez-vous.

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A quel moment avez-vous décidé de travailler avec votre mère, que vous seconderez ensuite pendant vingt ans ?

J’avais décidé de faire des études de médecine puis de philosophie … des étapes et des erreurs par lesquelles je devais passer. Après cela, j’ai progressivement intégré la gestion de la boutique et la création des modèles. Ma mère n’aimais pas du tout l’enseignement, on peut même dire qu’elle détestait. Mais moi durant toutes ces années j’avais observé. À la maison, puis la boutique et enfin le laboratoire et nos couturières, il aurait fallu être vraiment bête pour ne pas en retenir quelque chose!

 Travailler ensemble était difficile?

Nous pouvions discuter des jours d’un motif ou d’une couleur!

Nous avions vraiment deux fortes personnalités et pouvions discuter des jours d’un motif ou d’une couleur! Pour travailler ensemble je crois qu’il était nécessaire que j’ai également un caractère et des goûts précis. Elle était assez bornée, mais ce tempérament était associé à une grande sensibilité.

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Une question un peu surprenante…Votre mère aimait-elle vraiment coudre?

Elle avait été obligée de coudre pour vivre mais ce qui lui plaisait vraiment, c’était la création, que ce soit dessiner de nouveaux modèles ou travailler sur la palette de couleurs. Elle a d’ailleurs créé une sorte d’archives qu’elle a nourrit tout au long de sa vie. Tissus vintage, broderies anciennes, modèles, une vraie mine d’inspirations.

On sent un lien très fort entre votre famille et la ville de Florence. Parlez-nous de cette relation.

Les salons littéraires ont noué des liens très fort avec Florence. Florence était l’art et l’art était dans notre salon. La ville a évidement inspiré des couleurs, des motifs et elle possède une longue tradition artisanale qui est inscrit dans notre ADN. Par exemple notre boutique, que j’aime appelé Bottega, est un lieu où l’on entreprend, dessine, teste dans le laboratoire, corrige, prépare les couleurs. 

 

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Un lieu qui vous fascine encore aujourd’hui à Florence?

Je dois dire que le quartier de San Niccolò me fait toujours de l’effet. La via dei Bardi, la via san Leonardo. Si un portail est entrouvert dans cette dernière, on est immédiatement à la campagne, ce sont des émotions qui me transportent encore aujourd’hui.

Au jour d’aujourd’hui, qu’est-ce-qui fait votre succès?

Depuis toujours il y a une grande attention au client, une écoute. Nous développons des lignes pour la maison totalement personnalisées en fonction des besoins. Parfois une de nos vendeuses vient me voir et me dit « Lucia, tu devrais aller lui parler »… Les clients savent écouter mes recommandations et se fient à l’expérience. En discutant j’immagine leur espace et propose un dessin, une broderie, quelque chose d’inédit qui sera alors réalisé dans la boutique. Et puis, il suffit d’ouvrir nos placard pour découvrir nos animaux colorés sur coussins, nos nappes brodées de fleurs, nos pyjamas en soie, nos nuisettes sensuelles et toujours de bon goût.

 

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Cette boutique est un petit bijou et j’espère que mes lecteurs viendront la découvrir par eux-même. Depuis combien de temps êtes-vous installés ici ?

Cela fait 22 ans. C’est moi qui est supervisée les 2 ans de travaux, nous sommes partis de loin… Mais nous avons pu relier deux espaces pour avoir une boutique traversante sur 2 rues, récupérer de belles fresques et installer notre atelier, nos couturières, créer un esprit ‘maison’ avec de nombreux objets personnels.

Combien de couturières travaillent pour vous ?

Maintenant nous faisons appel à beaucoup de personnel extérieur. Mais il règne toujours un esprit d’Atelier. Les couturières viennent chercher ici à la bottega le travail et les instructions.

Pas de coursier ou d’email ! Est-il difficile de recruter de nouvelles personnes compétentes pour l’Atelier?

Oui, très. Les plus jeunes couturières ont une quarantaine d’années. Pour moi c’est une erreur énorme de l’état Italien, ne pas avoir su protéger ce talent lié au fait-main, avoir dénigré cette vraie expertise. Aujourd’hui quelqu’un qui cherche un travail a le réflexe de postuler pour être à la caisse d’un supermarché plutôt que d’apprendre un métier manuel. La France a compris bien avant nous la préciosité de « l’artisanat artistique ».

 

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Ce concept de bottega lié à l’artisanat et au fait-main semble vous tenir très à coeur.

Oui. L’artisanat est lié à la culture, c’est une véritable attitude de travail car il faut de la patience pour apprendre les gestes, superviser toutes les étapes, croire en ce que l’on fait, réfléchir avec sa tête avant de produire avec ses mains.

Votre maman nous a quitté l’année dernière. Quels sont vos grands projets pour la société maintenant que vous êtes seule aux commandes?

Je souhaite que mes deux fils rejoignent l’entreprise. L’un est décorateur d’intérieur, l’autre va être diplômé en droit et économie. Leurs deux casquettes peuvent servir notre développement. J’aimerais également augmenter les points de vente. Nous avons des boutiques en propre à Florence et Forte dei Marmi, j’aimerais trouver des points de vente très qualitatifs pour Londres et Paris. la marque a un potentiel pour perdurer dans le temps et se developper.

Grazie Mille Lucia !

http://www.lorettacaponi.com/

 

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Par Ali

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