La diète italienne

Chapitre 20 / Cristiano Savini, producteur de truffes

On ne vous présente plus Savini Tartufi, cette famille toscane productrice de truffes depuis des décennies. Nous avions très envie de discuter avec Cristiano Savini de notre sujet de prédilection : la diète italienne. Vous le verrez, on a beaucoup parlé de truffe évidemment mais nous avons aussi inévitablement abordé les sujets du territoire et de la nature et la grande volonté familiale d’éduquer le plus grand nombre à ce mets mystérieux qu’est la truffe.

Bonjour Cristiano, peux-tu nous raconter comment est née l’entreprise familiale ?

L’histoire de notre entreprise familiale naît d’une magnifique intuition de mon grand-père. Mon nonno Zelindo était garde-chasse pour une grande famille toscane et les week-ends, il les accompagnait à la chasse, puis voyait les tables dressées et entendait les discussions de ces chasseurs. C’est là qu’il a compris que la truffe était 1 mets précieux. Pour vous donner une idée, dans les années 60-70 en Italie, par manque de connaissance, les paysans donnaient les truffes à manger aux cochons. À l’époque, les chasseurs de truffe étaient des chasseurs ratés, la truffe n’avait pas tant de valeur ! Début des années 70, il quitte son boulot de garde-chasse pour devenir tartufaio, maître-truffier. Il achète un bar avec une petite épicerie où il commence le commerce des truffes. Ma nonna tient l’épicerie, mon nonno y installe tout de suite une balance au centre. Il comprend que les petites truffes au prix plus bas vont intéresser la clientèle. Il a eu le nez fin, il est le premier en Toscane à lancer une entreprise autour de la truffe ! 

Et ton père, quand entre-t-il en jeu ?

Dès ses 14-15 ans ! Comme tartufaio d’abord, puis il fallait vendre. Mon père n’adorait pas la vente mais il a eu une idée géniale : cuisiner les truffes abîmées que l’on ne pouvait pas mettre à la vente ! C’était tout à fait novateur pour l’époque, notamment car cela ouvrait les portes sur l’exportation, la truffe fraîche étant un produit très compliqué à exporter. De plus, personne n’avait l’habitude de cuisiner la truffe, on se contentait de la râper fraîche dans les assiettes. Mon nonno a décidé de lui faire confiance et ce fût la deuxième grande étape pour l’entreprise familiale.

De ton côté, quand as-tu su que tu voulais t’investir dans cette grande aventure et quel est ton rôle ?

Je suis géomètre diplômé et je voulais devenir architecte mais en 1998, on a eu des problèmes dans l’entreprise, mon père avait besoin d’aide. J’avais la chance d’avoir le caractère de mon nonno Zelindo mais aussi d’avoir un père comme Luciano, qui m’a donné carte blanche et sa confiance totale ! Quand j’ai commencé, il m’a dit “voici notre réalité, notre budget, nos besoins, tu arrives à tes objectifs comme tu veux”. Je me suis relevé les manches et de 1998 à 2001, j’ai sillonné l’Italie de long en large. On a commencé  à augmenter les ventes de manière exponentielle. Et comme l’appétit vient en mangeant, l’ambition d’être présent sur plus de marchés m’est venue, de ramener des “chiffres” et des commandes à la maison. C’était une grande fierté. En 2001, j’ai aussi créé un groupe avec la chambre de commerce de la Toscane, ensemble, on était plus forts face aux colosses internationaux. On est allés partout avec ce groupe, en Europe mais aussi aux USA. J’ai aussi constaté que le public allait à Milan ou à Rome, mais il n’arrivait pas jusqu’à chez nous en Toscane. Il fallait amener le concept jusqu’au public. Il a fallu du temps, des idées, de l’argent, mais on a ouvert une première vitrine à Milan puis notre comptoir au Mercato Centrale de Florence. Et l’histoire a continué ainsi.

Aujourd’hui, il y a plus de concurrence sur le marché, la truffe est très à la mode. Qu’est-ce qui différencie Savini Tartufi ?

Savini Tartufi est l’unique réalité qui suit tout le chemin de la truffe de A à Z. On a les mains dans les bois, dans la terre, on vend la truffe, on exporte la truffe, on la travaille nous-même et on la propose dans nos lieux. Et nous pouvons ajouter depuis peu la partie formation puisque nous avons ouvert en 2022 la “Truffle Academy”. Une de nos volontés est de former des sommeliers en truffe.

Vous avez un grand respect pour la nature, pour votre territoire. Par quoi ce respect passe-t-il et pourquoi penses-tu que c’est si important de prendre soin de cet environnement ?

Je pourrai te parler des enjeux environnementaux d’aujourd’hui. On vit dans un monde qui ne nous appartient pas, ne pas le respecter, c’est une grande erreur. À notre échelle, chez Savini Tartufi, non seulement on est obligés de respecter notre territoire, car la truffe n’apparaît que dans les territoires sains, mais nous avons aussi toujours eu une volonté de faire évoluer le secteur et d’éduquer à cette problématique essentielle. Au début des années 2000, on ne travaillait que 4 mois sur l’année, car pour le public, seule la truffe blanche existait. Les zones de truffe qui ne produisaient pas cette typologie étaient détruites. Or, c’est essentiel pour maintenir la diversité d’honorer tout ce que la nature nous offre. Petit à petit, nous avons su éduquer les grands restaurants, puis le grand public. Aujourd’hui, on sait qu’on peut manger de la truffe toute l’année et que les truffes noires ont également de grandes qualités.

Peux-tu nous en dire plus sur votre territoire qui est très spécifique ?

Nous disposons de 33 hectares situés à Cumoli. Sur un rayon limité de 60-70km, nous disposons d’une biodiversité unique: la flore maritime, avec les pins et le sable, les différentes forêts de l’arrière pays et le début du paysage Apennin (650m d’altitude), le tout sans autoroute. Cette diversité offre une liberté exceptionnelle à la truffe de se développer, la preuve en est, nous trouvons sur ces terres 7 des 9 typologies de truffe présentes en Italie, dont les 5 plus importantes. 

Où préfères-tu faire ton truffle hunting en termes de cadre ?

J’ai trouvé ma première truffe à l’âge de 6 ans sur nos terres à Cumoli, en-dessous du bosco del lupo, le bois du loup. Alors même si j’ai déjà chassé la truffe dans des tas d’endroits sublimes, cela reste mon lieu préféré. C’est chez moi.

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"Nous cherchons des manières de lier nos enfants à la terre, de les éduquer et de les responsabiliser. Le rapport à la nature est fondamental."

Cristiano Savini

Quelle est la plus grande satisfaction dans ton métier ?

Quand j’ai des gens au téléphone qui me disent “on ne se connait pas, j’ai un resto à Sienne (ou à Londres), un de tes clients m’a donné ton nom”, ça veut dire que le travail fait avec coeur et passion paie. Et aussi, je me rends compte que plutôt que d’avoir des clients, j’ai des ambassadeurs qui ont compris notre message, notre expérience. C’est fantastique de pouvoir constater ça à 43 ans, ça veut dire que j’ai bien semé et que je commence à récolter des résultats.

Et la plus grande difficulté ?

Je dirais que c’est créer la bonne équipe de travail. Car c’est un métier difficile, donc il faut trouver les bonnes personnes, persévérer, leur montrer l’exemple, transmettre tes valeurs. Mais une fois que c’est transmis, tu peux déplacer des montagnes.

Vous avez une gamme de produits bio, quelle est la différence avec votre gamme traditionnelle de produits ?

Tout d’abord, je voudrais dire que par nature, il n’y a rien de plus bio qu’une truffe ! Mais pour pouvoir dire d’un produit qu’il est bio, il faut avoir une certification, c’est le grand phénomène de la bureaucratie ! Sur notre propriété de Cumoli, nous avons pu l’obtenir car c’est un territoire 100% naturel sur lequel il n’y a jamais eu de culture, mais nous avons des maîtres truffiers qui travaillent pour nous sur d’autres terrains en Toscane et pour lesquels il serait plus que compliqué de demander cette certification. Nous avons donc décidé de dédier nos truffes de Cumoli a une gamme de 7 produits, mais nos autres produits sont également de haute qualité.

Vous défendez aussi une vision pédagogique concernant la truffe, une volonté d’éduquer le public à ce produit rare. Comment ?

La chasse à la truffe est déjà un moment pédagogique important, qui permet de comprendre beaucoup de choses : les conditions qui doivent être réunies pour obtenir des truffes, le territoire qui les accueille, pourquoi c’est un produit si rare et précieux, comment on le récolte, on le conserve, on le consomme ou prépare (retrouvez des informations ICI). Mais comme je te le disais avant, nous avons décidé de pousser la pédagogie plus loin en créant la TRUFFLE ACADEMY. Nous proposons un cours de base, qui ressemble assez fort à ce qu’on fait pendant l’expérience de la chasse à la truffe, mais on va plus loin, avec des cours de cuisine, des cours d’accord avec le vin ou encore des thèmes plus spécifiques comme le cours de photo pour mieux s’adapter à notre époque digitale.

Ces cours s’adressent à plusieurs publics, à commencer par les professionnels du secteur de la restauration. Les chefs bien sûr mais nous avons aussi la volonté de créer des sommeliers en truffe, pour qu’il y ait aussi des spécialistes en salle, au contact direct de la clientèle. Après tout, la truffe est un produit aussi fantastique qu’une très bonne bouteille de vin. Il y a beaucoup à dire dessus, sur ses qualités, son histoire. Ensuite, on s’adresse aussi aux bloggers, journalistes, mais aussi aux grands amateurs de truffe. On veut transmettre une vision.

Vous avez cette cabane dans les bois, qui vous sert de point d’accueil lors des chasses à la truffe. Quel était l’objectif en aménageant ce lieu ?

Pendant la chasse à la truffe, c’est le chien qui mène la danse. On doit aller à son rythme, le suivre, c’est un moment de grande concentration. Cette cabane, c’est la possibilité de profiter ensemble après la chasse qui est un moment sérieux. On peut partager nos impressions sur l’expérience qu’on a fait, et puis déguster les délicieux plats préparés par mon père ! C’est aussi une façon pour nous de permettre aux gens d’entrer dans notre environnement familial.

Quand je te parle de diète italienne, quels sont les mots, les idées qui te viennent en tête ?

Je pense tout de suite à l’expression d’un territoire sain, aux bons produits que la nature nous offre. La truffe en est le parfait exemple, c’est un produit spontané, qui naît d’une symbiose. Il faut faire attention à ne pas en manger trop car elle peut être compliquée à digérer, mais comme la nature est bien faite, on l’utilise spontanément avec parcimonie.

Quel ingrédient de la diète italienne est essentiel selon toi ?

Ma réponse ne va pas être originale, mais je vais dire l’huile d’olive extra vierge. A Cumoli, nous disposons aussi d’une oliveraie et nous produisons de l’huile d’olive pour notre consommation familiale. Chaque année, nous nous retrouvons 1 week-end pour la récolte, c’est un bon moyen pour passer du temps de qualité en famille. Chez nous, chaque enfant de la famille possède sa propre partie de l’oliveraie et est chargé de sa récolte. Nous cherchons des manières de lier nos enfants à la terre, de les éduquer et de les responsabiliser. Le rapport à la nature est fondamental.

On dit toujours que la famille est un ingrédient essentiel, le coeur de la cuisine italienne, quel est l’ADN culinaire de ta famille ?

C’est encore une fois, le lien à la terre, à la nature. Dans la famille, le grand chef, c’est mon papa. Mais les autres membres de la famille ont leur rôle à jouer. Le samedi matin, ma mère et les plus petits sont dans notre potager. Ils récoltent les légumes de saison. Du chou en hiver, des asperges au printemps,… c’est le potager qui va décider de ce qu’on va mettre dans nos assiettes. Le déjeuner sera alors préparé et le samedi après l’école, le week-end peut vraiment commencer. On se retrouve tous à Cumoli autour d’un bon repas. On réussit à transmettre ces valeurs naturellement à nos enfants. Ça leur vient spontanément, car ils voient notre passion pour la nature. Tout commence avec la nature.

En travaillant un produit aussi exceptionnel, tu as dû découvrir d’autres produits excellents du terroir toscan, en as-tu à nous conseiller ?

Nous avons d’excellentes légumineuses en Toscane. Le haricot de Sorana par exemple, un haricot cannellini cultivé près de la ville de Sorana, le long de la rivière Pescia dans la province de Pistoia. Ou encore le haricot Z olfino, un des plus précieux et élégant. En t’en parlant, je l’imagine avec un filet d’huile d’olive et una grattugiata di tartufo bianchetto di marzo, de la truffe blanche de mars râpée dessus !

Peux-tu partager avec nous une recette italienne à préparer avec de la truffe ?

Chez Savini Tartufi, nous sommes des inconditionnels du tagliolino al tartufo, les pâtes à la truffe, mais pour être un peu plus original, je pense à une autre recette, moins connue, mais délicieuse, c’est la polenta al tartufo. Soit avec notre beurre à la truffe et notre crème de parmesan truffée, soit avec de la truffe fraîche, c’est un plat réconfortant et délicieux. Et elle convient aux intolérants au gluten, donc c’est une bonne alternative aux pâtes.

 

Grazie mille Cristiano !

Retrouvez la première interview d’Alice avec Cristiano ICI. et son expérience de Truffle Hunting en vidéo ICI. Et pour découvrir la philosophie et les produits Savini Tartufi, c’est ICI !

 

Crédits photos :  Ludivine Le Cornec et Savini Tartufi

Par Emilie Nahon

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