Art de vivre italien
ENTRETIEN Morgane Lucquet Laforgue, directrice et curatrice du musée de Sant’Orsola
La curatrice et directrice du musée de Sant'Orsola à Florence, Morgane Lucquet Laforgue, n’a pas attendu l’ouverture officielle des lieux pour se mettre au travail. Comment ? En testant sur le terrain un musée ouvert sur des décombres, en créant un lieu de vie éphémère pour se mettre à l’épreuve, en approchant des artistes pour leur partager l’histoire des lieux et les inciter à créer.
Bonjour Morgane ! Pour toi le musée Sant’Orsola c’est…
Un musée en construction dans un ancien couvent en pleine métamorphose au cœur de Florence. Un lieu qui organise des expositions en invitant des artistes contemporains à créer des œuvres in situ qui entrent en dialogue avec l’architecture du site et/ou des éléments de son histoire.
Construire une offre muséale dans un lieu encore en définition… Challenge impossible ou tremplin de créativité ?
Pendant cette phase de (re)construction c’est vraiment un immense tremplin de créativité ! Le complexe est un monument historique qui garde les séquelles de nombreuses transformations liées à différents usages (couvent, manufacture de tabac, centre pour réfugiés, presque caserne militaire…). Les bâtiments ont beaucoup souffert, c’est donc un lieu assez étrange, avec des colonnes à chapiteaux qui supportent des voûtes anciennes restaurées, côtoyant d’immenses murs gris recouverts d’une épaisse couche de béton armé.
Mais ces « cicatrices » de l’édifice, qui font partie de son histoire singulière, on peut les transformer en force, alors le béton devient presque un atout, une surface sur laquelle s’accrocher, peindre… (comme l’a fait l’artiste Flora Moscovici). C’est assez extraordinaire de pouvoir transformer, même temporairement, des espaces si singuliers, de pouvoir y ajouter une couche sans effacer pour autant celles qui sont encore visibles.
J’espère qu’une fois le musée ouvert on arrivera à garder, même si c’est dans des dimensions réduites, un peu de l’esprit de ces premières expositions. Cela fait partie désormais de l’identité du Museo Sant’Orsola : ce dialogue entre passé et présent, entre les matières, ces artistes qui nous invitent, chaque fois, à (re)découvrir.
L’expo actuelle en 3 points clés ?
C’est la dernière exposition du Museo Sant’Orsola avant son ouverture officielle, c’est donc l’exposition de la renaissance et de la régénération de Sant’Orsola, celle d’avant le grand chantier de rénovation de l’ensemble du complexe, celle qui se déploie dans le plus grand nombre d’espaces possible.
C’est une exposition qui traite du passé, du présent et du futur de ce lieu et qui tente de réparer symboliquement les blessures du temps. C’est donc l’occasion de découvrir le travail de 14 artistes et artisans d’art qui ont créé des œuvres spécifiquement pour l’occasion et dans une grande variété de langages et de techniques (broderie, peinture à l’huile sur toile ou sur coquillage, peinture à la chaux, tapisserie, vitrail, sculpture en verre, installation avec du sel, des plantes, des objets du quotidien…).
Florence, ville de la Renaissance, sait-elle faire aussi résonner les voix artistiques plus contemporaines ?
L’héritage du passé, c’est intimidant, surtout si on essaie d’entrer en compétition avec. Il n’y aura plus jamais de Michel-Ange ou de Léonard ! Et heureusement, ils étaient uniques. Il ne s’agit donc pas d’effacer, de remplacer, mais juste d’ajouter quelque chose, et de donner les moyens à des voix d’aujourd’hui d’essayer de le faire, humblement.
Tous les artistes qui sont venus travailler à Sant’Orsola ces trois dernières années et qui ne sont pas de Florence, l’après-midi ils étaient dans les musées, dans les églises. Deux jours après être arrivés, leurs projets avaient changé (en mieux évidemment !). C’est ça aussi créer à Sant’Orsola… au cœur de Florence, dans une ville chargée d’histoire, de patrimoine. Pour un artiste c’est fondamental d’observer, de s’émouvoir, d’essayer de se confronter, humblement, aux grands exemples du passé, et d’en faire ensuite autre chose.
Élise Peroi par exemple était comme hantée par Fra Angelico et son Annonciation à San Marco dans laquelle on aperçoit une petite fenêtre qui ouvre sur un paysage, un jardin d’Éden … Cette fenêtre et surtout ce jardin foisonnant, on les retrouve dans l’un de ses tissages. La référence ne saute pas aux yeux, mais a donné lieu à une magnifique invention de sa part.
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Ton lien à la ville de Florence ?
J’y étais étudiante en histoire de l’art il y a 12 ans. C’était extraordinaire d’étudier, de faire des stages ici, mais la vie étudiante c’est un moment à part. C’est très différent de revenir, de travailler dans cette ville, d’essayer d’y ouvrir un nouveau musée et proposer une programmation d’art contemporain !
À ma prise de poste il y a quatre ans, l’intégration n’était pas facile. Il y a un grand orgueil de la part des Florentins envers leur patrimoine et donc pour commencer, une française qui arrive et qui « met la main sur un patrimoine ancien florentin » au début cela ne plaît pas vraiment. Mais après on discute, on échange, on s’implique mutuellement et au final on fait son petit chemin… Maintenant je me sens plus chez moi à Florence qu’à Paris où j’ai pourtant vécu et travaillé pendant huit ans. C’est aussi une ville à taille humaine, on se déplace à vélo, en quelques minutes de voiture on est dans la sublime campagne toscane… et il y a une lumière magique ici.
Trois adresses dans le quartier de San Lorenzo où tu travailles ?
L’osteria Caffaggi (via Guelfa 35R) à deux pas de Sant’Orsola pour un déjeuner le midi. Le caffé Sieni en face du Mercato Centrale (via sant’Antonino 54R) le matin ou l’après-midi. Et pour les visites, le musée de l’Opificio delle Pietre Dure (ICI) ! Un peu vieillot dans sa présentation mais tellement intéressant.
Ta dernière plus belle rencontre ?
Federico Gori, Bianca Bondi… des artistes évidemment !
Le chantier sur lequel tu travailles ?
La priorité maintenant, c’est l’ouverture du musée et son parcours permanent (qui sera pensé pour être évolutif et non statique car la collection va augmenter au fur et à mesure).
Il faut donc commencer à constituer une collection en propre et voir comment et quoi acquérir de chaque artiste de ces trois premières expositions … Il faut aussi que l’on essaie de trouver des financements pour participer à la restauration d’œuvres historiques qui pourraient être mises en dépôt au musée. Entre autres, il y aura aussi deux appels à candidatures qui seront lancés première moitié 2026 pour des résidences de recherche et de production. Les bourses de résidence (pour des femmes artistes) seront soutenues par la Fondation Calliope Arts (supporting women in the art of the past and of the present).
La plus belle anecdote ou découverte selon toi sur l’ex-couvent de Sant’Orsola ?
Apparemment c’est à « Sant’Orsola Manufacture de Tabacs » qu’auraient commencé à Florence les premiers mouvements de grèves ouvrières féministes (à ce sujet pour les italophones vous pouvez écouter l’épisode 2 « compagne » de Dominae le podcast du Museo Sant’Orsola réalisé avec les étudiantes en Museum Education du IED Florence).
Grazie Mille Morgane !
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Ancien couvent de Sant’Orsola, Via Guelfa, 21, 50129 Firenze www.museosantorsola.it
10-19H (18H EN HIVER) FERMÉ LE MARDI
Toutes les photos sont signées Claudio RIPALTI pour le Museo Sant’Orsola
Par Ali
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