Interview
INTERVIEW, Guglielmo de’ Micheli, photographe
J’ai rencontré le photographe Guglielmo de Micheli grâce à des amis que nous avons en commun à Florence. Il gravite dans un monde de gens passionnants (Mario Luca Giusti, Tessa Castellano pour ne citer qu’eux) et a toujours des anecdotes pétillantes concernant ses voyages à Zanzibar ou en Egypte. Nous nous sommes retrouvés un lundi matin pluvieux de mai pour visiter ensemble la nouvelle Mostra du musée Ferragamo intitulée « Tra Moda e Arte ». J’ai profité de l’occasion pour lui poser des questions sur sa carrière de photographe et ses années de collaboration avec le magazine américain hebdomadaire LIFE, la Mecque du photojournalisme. Rencontre autour d’un café macchiato à l’Alimentari Mariono.
Bonjour Guglielmo, peux-tu nous raconter tes débuts en tant que photographe ?
À 16 ans, j’ai investi dans un petit appareil photo durant un voyage aux Etats-Unis. En rentrant à Florence, j’ai commencé à prendre en photo les produits des antiquaires puis à développer. Durant l’armée, même combat, j’ai continué à faire des photos et j’ai ensuite travaillé comme photographe pour divers journaux en Italie. J’ai eu ensuite la chance de devenir l’assistant du photographe Davis Lees et de rentrer dans la famille de LIFE Magazine et de tous les journaux du groupe : LIFE, Times, Sport Illustrated, Fortune, People.
Quel souvenir gardes-tu de ton travail pour LIFE ?
J’ai eu la chance de connaître l’époque glorieuse du photojournalisme et la malchance de voir son déclin. C’est difficile de vivre une grande époque comme celle-là puis de la voir disparaître. Il y a 30 ans, il n’y avait pas de limite de budget pour couvrir un sujet, un pays, une personnalité. Le propriétaire du groupe LIFE disait « I don’t mind » devant les requêtes des photographes tant que cela était la garantie de ramener le meilleur en image chaque semaine. On pouvait partir 20 jours à l’étranger pour couvrir une ville ou un événement, un luxe qui n’existe plus du tout aujourd’hui.
Il y a 30 ans, il n’y avait pas de limite de budget pour couvrir un sujet chez LIFE tant que cela était la garantie de ramener les meilleures images.
Aujourd’hui qu’est ce qui a changé ?
Il n’y a plus les budgets dans la presse magazine pour envoyer un photographe couvrir un sujet sur 10 jours, lui laisser le temps de sentir le lieu, de nouer des liens. On choisit plus facilement un photographe proche du lieu pour économiser les transports, même si il s’agit d’un simple billet de train. Et puis il y a les contraintes liées au commercial dans le milieu de la mode.
Qu’est-ce que ton expérience de photographe chez LIFE t’a appris ?
Le photojournalisme à l’américaine c’était savoir tout faire, couvrir tous les types de sujets, de la meilleure manière qu’il soit. On passait d’un reportage sur Venise à un portrait de célébrité la semaine d’après sans aucun problème. Aujourd’hui il y a une trop grande spécialisation. C’est un peu exaspérant.
Le photojournalisme à l’américaine c’était savoir tout faire, couvrir tous les types de sujets, de la meilleure manière qu’il soit.
Pourrais-tu nous raconter un exemple marquant du « grand photojournalisme » ?
Les funérailles de Churchill en sont un très bon exemple. Il y avait des délais serrés voir impossible pour couvrir l’événement et le faire paraitre dans le prochain numéro. LIFE a alors mobilisé une grande partie de ses journalistes en répartissant précisément les taches : un photographe couvrait les invités en pleur dans l’église, un autre était chargé des plans larges à la sortie, un autre mitraillait la foule dans la ville, etc. Une fois terminé, les assistants en moto étaient chargés de récolter le plus rapidement possible les pellicules, direction l’aéroport ou LIFE avait transformé un avion en chambre noire pour le développement. Durant le vol qui ramenait le matériel à New-York, toutes les photos ont été développées puis éditées. Tout était prêt à l’atterrissage pour partir en impression. Imaginez le budget d’un tel shooting !
Avec Internet, les temps ont sacrement changé pour gérer l’information via l’image.
C’est sûr. Si tu prends le site de BBC, sous chaque news tu as la possibilité d’envoyer une image, une vidéo, bref de l’information pour alimenter l’article. LIFE était une magazine hebdo, et à l’époque c’était déjà incroyable de réussir à produire chaque semaine des reportages sur les nouvelles du moment et avec ce standard incroyable de qualité.
Comment te prépares-tu pour une séance ? Tu sais ce que tu vas faire à l’avance ?
On a de moins en moins de temps aujourd’hui avec la personne à photographier. Les attachés de presse gèrent un planning serré et nous accordent très peu de temps pour une photo. Or il faut réussir à créer un « moment » pour avoir une bonne photo et surtout avoir une idée, même simple. Mais je dois dire que ce qu’il y a de pire, c’est quand la personne n’a rien a donné et qu’elle n’est pas intéressante ! Là c’est très difficile.
Comment gères-tu un shooting avec des personnalités telles que Valentino, Armani, bref des superstars ?
L’important selon moi c’est de divertir l’interlocuteur qui est en face de soi. Il ne faut pas avoir peur, il faut échanger quitte à choquer parfois car ils n’ont pas l’habitude d’avoir ce genre de rapport avec leur entourage. Le shooting, c’est un moment privé entre eux et moi, je peux me permettre d’être drôle, de dire ce que j’ai envie de dire pour éveilleur leur curiosité, rendre la séance moins ennuyeuse que ce à quoi ils s’attendaient. L’objectif c’est qu’ils oublient leur montre, l’horaire, et que l’attaché de presse vienne nous rappeler à l’ordre !
Pour avoir une bonne photo, il ne faut pas hésiter à choquer celui qui est devant la caméra pour provoquer une réaction.
Durant une séance photo, travailles-tu seul ?
J’ai bien souvent un assistant.
Aujourd’hui avec le matériel à disposition, tout le monde se prend pour un photographe. Que penses-tu de cette nouvelle génération qui est vissée sur son téléphone ?
En regardant Instagram, je suis impressionné par la quantité de bonnes idées que l’on peut y trouver. Beaucoup de jeunes gens ont « l’œil » pour faire une bonne photo. Appareil photo ou iphone, le matériel compte peu s’il y a une idée.
Ces dernières années, tu travailles beaucoup avec les réalités locales de la région, comme Ferragamo ou les Frescobaldi. Est-ce que tu prends le même plaisir au travail qu’avant ?
J’aime les rencontres, et la possibilité de travailler sur quelque chose de complétement différent, du jour au lendemain. J’essaie de ne pas m’ennuyer en racontant des histoires, et je travaille avec des vrais personnages à Florence que ce soit Mario Luca Giusti ou Lorenzo Villoresi. Ce dernier, parfumeur, a un caractère terrible mais c’est un génie ! Quant à Mario Luca, il a décidé de changer le cours de sa vie en mettant de côté le business familial des chaussures (que ça famille avait depuis 3 générations) pour se lancer dans quelque chose de complément différent, les arts de la table. C’est une personne extrêmement intelligente qui ne s’arrête jamais de cogiter.
J’aimerais bien avoir ton avis sur une photo prise à Florence et qui a fait le tour du monde, « American girl in Italy » de Ruth Orkin.
Je crois qu’on cherche toujours un peu les clichés, et celui-ci en est un. Les hommes latins séducteurs qui sifflent l’américaine sur son passage, le duo d’italien dont Carlo Marchi sur la petite moto Lambretta… je pense que cette photo plait plus aux américains qu’aux italiens !
Les photographes doivent aller au delà des clichés.
Tu voyages beaucoup mais reste accroché malgré tout à Florence. Tu ne t’es pas lassé de la ville ?
Si tu ne regardes pas autour de toi et que tu es fermé, Florence semble être une très petite ville. Mais si tu es ouvert aux rencontres, parles un minimum anglais alors la ville se transforme en opportunités. J’aime également cette possibilité de prendre le scooter et d’être en trois minutes à la campagne. Mon problème je dirais que c’est le nouveau type de tourisme que subit Florence, nous devenons Venise !
Pour finir, quel conseil donnerais-tu à un apprenti photographe ayant prévu un séjour à Florence ?
Lorsque je donne des cours de photo, je fais toujours faire une première balade à Florence sans appareil photo. Il faut « voir » la photographie, observer, être attentif à ce que l’on a autour de soi plutôt que d’être le nez collé sur son écran de téléphone ou celui de sa caméra.
Avec mes élèves, nous nous baladons sans caméra à Florence pour forcer l’oeil à trouver les photos.
Merci Guglielmo !
Portfolio complet: de-micheli.com
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