Interview

INTERVIEW Tessa Castellano, restauratrice d’art

Faire réapparaître des visages et paysages oubliés, redonner à lire une œuvre telle qu’elle a été pensée par son peintre; j’ai eu le grand bonheur d’échanger avec la restauratrice d’art Tessa Castellano. Rencontrer une personne qui côtoie le beau d’aussi prêt à quelque chose de fascinant, et nous avons pu discuter des grands principes de son métier et de l’étique qui entoure un travail à haute responsabilité. Nous nous sommes également attardées sur  le tableau qu’elle vient tout juste de terminer : ‘Le mariage de la vierge’ du peintre Rosso Fiorentino, datant de 1523 et commissionné par la famille Marchesi Ginori pour la chapelle éponyme dans l’église de San Lorenzo à Florence. Ce tableau commence sa deuxième vie après trois ans de dur labeur.

Tessa, merci de prendre du temps pour nous. Peux-tu nous résumer brièvement ton parcours et nous donner des exemples de ton travail ?

Je suis diplômée de l’Institut Supérieur pour la Conservation et la Restauration situé à Rome. Il forme, avec  l’école de restauration de l’OPD de Florence (Opificio delle Pietre Dure), l’excellence italienne en matière de restauration. Pour citer quelques chantiers sur lesquels j’ai travaillé : restauration des fresques de la Cappella degli Scrovegni de Giotto à Padoue, de la toile La Deposizione de Federico Barocci, et enfin des fresques romaines à Pompei, sur le cite physique ainsi que sur des fresques détachées qui sont conservées au musée. J’ai eu beaucoup de chance car ce sont tous des chantiers d’une grande beauté.

Es-tu spécialisée dans un support à restaurer, ou bien une époque ?

Ni l’un, ni l’autre ! Je suis spécialisée dans la peinture, mais je travaille sur tous les supports : bois, table, fresque; et je peux couvrir toutes les époques. Notre formation nous apprend une approche avec des techniques différentes pour chaque support.

Faut-il être ‘artiste’ pour être restaurateur ?

Absolument pas ! Il faut avoir évidemment une sensibilité artistique, une compréhension profonde de l’œuvre que l’on va restaurer, mais c’est dans la technique que le restaurateur doit exceller afin de travailler de manière ‘invisible’. On est finalement plus un scientifique, un technicien, qu’un artiste.

Quelles sont les grandes étapes d’un processus de restauration ?

L’étape d’analyse est très importante car elle va permettre d’évaluer le travail, de l’étape de nettoyage jusqu’aux retouches, et d’éviter les surprises. Le restaurateur doit tout d’abord comprendre et intégrer parfaitement la méthode d’exécution de l’artiste, c’est-à-dire sa technique mais aussi ses œuvres afin de respecter le sens de la peinture. En parallèle, il y a une partie scientifique, grâce à l’utilisation de différentes machines: les rayons X montrent la composition chimique qui va mettre en lumière les différences de couleur, les Ultra Violets dévoilent le nombre de couches de vernis superposées qu’il faudra enlever, les infrarouges indiquent quant à eux s’il y a une ‘œuvre sous l’œuvre’ comme par exemple un dessin préparatoire de l’artiste, information précieuse pour comprendre la volonté de ce dernier. Toutes ces étapes permettent l’élaboration d’un diagnostic pour transformer la perception, ce que je voyais à œil nu, en connaissance. Ensuite vient la phase de nettoyage, indispensable avant tout véritable travail sur l’œuvre. Il s’agit d’utiliser des solvants bien particuliers pour enlever les différentes couches de vernis qui endommagent les couleurs et le tableau en général.

A quel moment sais-tu que tu as terminé le nettoyage, que l’œuvre est prête à la restauration?

Il y a une sensibilité qui vient avec l’expérience, et on fait très attention pendant la phase de nettoyage car c’est la phase dite critique. En effet en restauration, chaque action est réversible sauf pendant cette phase spécifique ! Sur le Rosso Fiorentino, le nettoyage a pris 5 mois car on adapte les solvants en fonction des couleurs et des couches, ces dernières n’étant pas égales sur toute la surface du tableau. Quand l’œuvre est ‘soignée’ et prête, j’attaque les retouches de peinture en cherchant avant tout à recomposer une harmonie d’ensemble, un équilibre chromatique.

Quel type de pigment utilises-tu?

J’utilise uniquement des pigments de nouvelle génération testés et validés par l’Institut à Rome. Les pigments utilisés en restauration doivent être stables, reconnaissables par rapport à l’œuvre d’origine et bien sur réversibles.

Y-a-t-il des couleurs anciennes qui ont disparu et que l’on ne peut pas reproduire ?

Avec les pigments de synthèse on peut techniquement reproduire toutes les couleurs, telles qu’elles ont été choisies par le peintre. Et cela peut créer des surprises comme pour la chapelle Sixtine où une couche tellement épaisse de vernis et poussière recouvrait la peinture, que le public a été ‘choqué’ quand les restaurateurs ont fait réapparaitre les véritables couleurs. 

Existe-t-il une certaine part de subjectivité dans ton travail? Par exemple dans le choix d’une couleur ou la redéfinition d’un trait?

Un bon restaurateur ne doit pas modifier la lecture de l’œuvre et n’apporte rien de personnel. Il n’y a pas de « talent » à avoir mais une sensibilité qui prend appui sur la connaissance technique. Je pourrais ne pas savoir dessiner, cela ne changerait rien car je m’appuie constamment sur les choix de l’artiste. Le restaurateur n’est donc pas en mesure de finaliser, par exemple, une toile inachevée…

Retoucher des œuvres qui font partie du patrimoine mondial, un sacré poids sur tes épaules !

Oui c’est sur, il y a une vraie responsabilité. Mais mon travail n’est pas de remettre le tableau dans l’état dans lequel il était quand le peintre a posé son pinceau mais de limiter les dommages du temps en protégeant l’œuvre. Si mon travail est bien fait, il sera invisible pour le public.

Mais le destin d’une œuvre est-il d’être ‘éternel’ ? Il y a une certaine poésie à voir les choses s’effacer avec le temps.

La peinture Grecque n’existe plus, les temples autrefois colorés sont désormais blancs, tout est perdu pour toujours! Aujourd’hui certaines œuvres modernes portent en elles-mêmes le concept de la destruction, et cela doit être bien évidemment respecté. Mais pour le reste, la mission est de restaurer le statut actuel de l’œuvre, pour nous permettre de la lire et d’en profiter le plus longtemps possible.

Ton prochain projet ?

Cela pourrait être du moderne… je n’ai pas encore fait mon choix !

Où peut-on voir le ‘Mariage de la Vierge’ de Rosso Fiorentino que tu viens de terminer ?

Le tableau sera exposé exceptionnellement à l’Ambassade d’Italie à Paris du 6 au 28 février et le musée du Louvre consacre une conférence sur les étapes de restauration le 10 février à 18h30, elle sera ouverte au public.

Merci beaucoup Tessa !

Grazie a te.

S’inscrire à la conférence du Louvres

Voir le tableau gratuitement à l’Ambassade d’Italie à Paris: 51, rue de Varenne
 dans le 7ème arrondissement, Paris (00331 49540300)

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Par Ali

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